Le texte ci-dessous est la transcription (revue et enrichie) d'une présentation faite le 5 août 2003 lors de la 2ème édition des Estivales de la question animale.
Cette présentation aborde les questions suivantes concernant la place des animaux dans notre société :
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Nous allons nous interroger sur une idée reçue, l'idée que les intérêts d'un individu comptent pour pas grand chose, en tout cas pour moins que ceux d'un humain, simplement parce qu'il appartient à une autre espèce que nous.
C'est une idée qui est tellement répandue dans notre société qu'elle paraît une évidence, que simplement en discuter peut faire sourire, paraître un peu ridicule. C'est une idée que j'ai moi-même eu pendant longtemps, avant d'y réfléchir un peu plus.
Cette idée s'appelle le spécisme, par analogie avec le racisme ou le sexisme. Le racisme aussi c'est l'idée que les intérêts d'un individu comptent moins que ceux d'un autre simplement parce qu'il appartient à une race plutôt qu'une autre. Le sexisme : l'idée qu'ils comptent moins simplement parce que l'individu est une femme et pas un homme.
1 / 26 - Le spécisme : une discrimination basée sur l'espèce
Le spécisme peut en quelque sorte être appelé "le racisme de l'espèce".
Dans notre société, l'idée que les intérêts d'un animal comptent moins que ceux d'un humain parait évidente. Il faut se rappeler qu'il y a assez peu de temps encore, cela paraissait évident aussi, logique, que les femmes ne votent pas parce qu'elles étaient quelque part un peu moins importantes que les hommes. Et il y a pas très longtemps non plus, il y a à peine plus de 150 ans en France, il y avait encore des esclaves, c'était autorisé par la loi, et c'était aussi assez naturel, puisque les Noirs comptaient un peu moins que les Blancs -si ce n'est pas beaucoup moins.
Donc avant que de conclure que ce qui est évident est vrai, il faut regarder d'un peu plus près. C'est ce que nous allons faire maintenant.
2 / 26 - Comprendre le spécisme : les idées et les pratiques
Pour bien comprendre le spécisme, nous allons regarder à deux niveaux :
- au niveau des idées : qu'est-ce que le spécisme,
en tant que manière de voir les animaux par rapport aux hommes,
-et comment cette manière de voir influence notre manière de faire, notre
façons d'utiliser les animaux.
Il est important de comprendre à quel point notre
manière de voir influence notre manière de faire.
Prenons un exemple concret. Jusqu'il y a quelques
années, dans les années 60, début des années 70, un bébé, un nourrisson
humain, était considéré essentiellement comme un estomac qui crie quand il a
faim, et pas beaucoup plus. Il y avait très peu d'études qui étudiaient le
comportement d'un nourrisson, le mouvement de ses yeux par exemple pour
essayer de comprendre ce qui se passe dans sa tête, comme cela a été fait
depuis, études qui montrent que ce sont aussi des êtres complexes et
sensibles. Donc comme on ne savait pas trop non plus ce que cela voulait dire
que de ressentir la douleur quand on était un bébé, on leur faisait très
couramment des opérations chirurgicales sans anesthésie. Aujourd'hui, on n'est
pas très sûr non plus de ce que cela veut dire que de ressentir de la douleur
quand on est un bébé. On n'a pas beaucoup d'éléments pour le savoir vraiment
concrètement, mais néanmoins comme un bébé est maintenant considéré plus
comme une personne -il y a un même un livre intitulé "le bébé est une
personne"- ses intérêts sont pris en compte à même hauteur ou presque
que celui d'un adulte, et donc on l'anesthésie. Donc la différence entre deux
façons de voir les choses, ici au sujet des bébés, c'est pour lui la différence
entre possiblement une séance de torture dans le bloc opératoire ou le fait de
passer un moment endormi dans un sommeil profond.
Notre manière de voir influence notre manière de faire. Prenons un autre exemple : ceux qui, au 19e siècle, considéraient que les intérêts des Noirs comptaient moins que ceux des Blancs, trouvaient normal, totalement justifié même de leur point de vue, de les utiliser comme esclaves, car cela allait dans l’intérêt des Blancs.
3 / 26 - Pratiques individuelles, pratiques institutionalisées
Les pratiques que nous allons évoquer, ce ne sont pas des
pratiques individuelles, elles ne sont pas dues à la cruauté d'une personne un
peu tordue, mais ce sont au contraire des pratiques institutionnalisées.
Je ne vais parler que de pratiques généralisées, routinières,
celles qui sont faites tous les jours à des millions d’animaux. Celles sur
lesquelles des industries entières sont basées, en particulier une bonne part
de l’industrie agroalimentaire. C’est pour cela d’ailleurs que le spécisme
est un sujet de société, un sujet politique, pas un sujet pour les
faits-divers des journaux qui relatent comment tel maître a battu son chien à
mort.
Je ne cherche pas à
convaincre ici que telle ou telle de ces utilisations des animaux dont nous
allons parler doivent être abolies (même si pour la plupart, je le pense). Je
veux simplement que l'on ouvre les yeux sur le fait que, pour beaucoup de ces
pratiques, l’argument principal pour les justifier c’est « on peut le
faire parce que ce ne sont pas des humains ». Et que si comme moi vous
trouvez à la réflexion que cet argument est un peu léger, alors, pour
beaucoup de ces pratiques, les justifications qui restent pour justifier de les
perpétuer ne sont pas bien
convaincantes.
C’est un peu la même chose qu'en 1950 dans le Sud des États-Unis, les Blancs qui justifiaient la ségrégation dans les écoles, les
logements, les restaurants, les bus, la justifiaient par plein de
raisons, y compris des raisons qui ne sont pas en soi racistes, par exemple que
cela permettaient aux Noirs de préserver leur culture. Mais lorsque l’on a retiré l’argument du racisme, en gros lorsqu’on
arrête de penser que « la ségrégation c’est normal parce que ce sont des
Noirs et nous des Blancs » (sous-entendu « seulement des Noirs »),
alors les arguments sur la préservation de la culture noire paraissaient bien légers
par rapport à l’injustice de la ségrégation. Et que si on veut vraiment préserver
la culture Noire américaine, il existe aussi d’autres moyens,
non racistes, de le faire.
Pour la manière dont on utilise les animaux dans notre société c’est la même chose. La question centrale c’est : est-il justifié de se dire, quand on utilise un animal : « je t’utilise de cette manière là parce que c'est dans mon intérêt, je sais pourtant que cela te cause un certain préjudice, cela est nuisible pour toi, par exemple cela te fait souffrir, ou cela m’oblige même à te tuer, ou simplement cela ignore certains de tes besoins, ou cela ne va pas dans le sens de tes intérêts, mais je peux le faire quand même simplement parce que tu n'es pas de la même espèce que moi, alors que je ne le ferais pas si tu étais un humain ».
4 / 26 - Parler au nom des animaux : un devoir, une difficulté
Quelques mots d'abord sur le fait de parler au nom des
animaux. Il faut avoir conscience que c'est un devoir, mais aussi une difficulté.
C'est un devoir parce qu'évidemment ils ne sont pas
capables de s'exprimer eux-mêmes, bien que certains le fassent quand même
quand on les mutile, quand on les enferme : ils protestent par des cris,
essayent de s'échapper, se débattent. Mais socialement, ils ne sont pas
capables de s'organiser, d'aller faire une manifestation bien évidemment.
C'est un devoir de parler aux noms des
animaux, tout comme c'est un devoir de parler au nom des enfants. Les enfants
non plus ne
peuvent pas non plus venir parler en public et s'organiser socialement pour se défendre.
Il faut donc que d’autres personnes viennent témoigner en leur nom, viennent
défendre leurs intérêts. Être, comme disait l’Abbé Pierre dans d’autres
contextes, la voix de ceux qui n’ont pas de voix.
C'est un devoir de parler au nom des animaux, mais c'est
aussi une difficulté parce qu'on parle au nom d'individus qui ne peuvent pas
s'exprimer contre celui qui parle. Nous sommes donc susceptibles de projeter sur
eux des intérêts qui ne sont peut être pas réellement les leurs.
L'idée que les animaux ne peuvent pas parler, non
seulement cela signifie qu'ils ne peuvent pas s'exprimer socialement, mais aussi
c'est important à prendre en compte dans la représentation que l'on a d'eux.
Il me revient à l'esprit une conversation que j'ai eu devant la poissonnerie d'un hypermarché, où je m'étais arrêté devant un étal de homards vivants posés sur de la glace pilée, les pinces enserrées dans des gros élastiques, vous avez peut-être déjà vu cela. Ils étaient à l'air libre, bougeaient à peine, lentement, entassés les uns sur les autres.
J'ai demandé à la vendeuse si un
homard respirait dans l'air ou dans l'eau -je ne le savais pas à l'époque.
Elle m'a répondu qu'ils respiraient dans l'eau. Je lui dis :
-"Mais alors si je comprends bien ils sont en train d'agoniser, ils ne peuvent
pas respirer, ils sont là un peu comme si nous on se noyait dans l'eau, sauf
que pour eux apparemment cela dure pendant des heures. Est-ce que vous pensez
pas qu'ils souffrent ?"
-elle me répond : "Vous avez qu'à leur demander !"
-moi : "Mais ils ne peuvent pas parler ..."
-elle : "Ah ! bien dans ce cas là c'est qu'ils ne doivent pas souffrir
alors…"
Elle m'a répondu cela du tac au tac, et ce
que cela exprimait pour elle, à mon avis, ce n'était pas simplement une
boutade. C'était aussi qu'elle s'était peut-être déjà posé la question, elle savait
qu'ils respiraient dans l'eau, elle les voyait bien agoniser devant elle depuis
un moment. Le fait qu'elle ne puisse pas les entendre hurler,
crier, donc souffrir, cela lui évitait de se sentir obligé de faire quelque chose qu'elle n'avait
pas envie de faire, qui était de les tuer, ou d'aller voir le boss et de
lui dire que peut-être c'était cruel de les laisser comme cela. Mais sachant
qu'un homard mort cela se vend moins cher qu'un homard vivant, elle préférait
ne pas faire quelque chose qui allait être un peu compliqué à gérer.
"Ils ne parlent pas, donc ils ne souffrent pas".
Un dernier obstacle quand on parle des animaux, c'est que beaucoup de nos intérêts sont opposés à ceux des animaux. Déjà simplement parce que beaucoup de gens gagnent leur vie dans des domaines, des industries, qui sont liés directement ou indirectement à l'utilisation des animaux. Mais aussi parce que je pense que même tout à fait inconsciemment, quand on regarde une vache que l'on a devant soi, et qu'on se demande ce qui est le mieux pour l'intérêt de cette vache, et que l'on a, à ce moment là, dans l'estomac, un morceau d'une autre vache qu'on est en train de digérer, je pense qu'on a du mal à avoir un raisonnement tout à fait neutre.
Nous allons néanmoins essayer de faire au mieux.
5 / 26 - Plan de la présentation
Nous allons commencer par regarder ce qu'est une discrimination juste par rapport à une discrimination injuste, et nous nous demanderons dans quels cas la discrimination sur l'espèce est justifiée ou non.
Dans une deuxième partie, nous verrons ce qui rapproche les
animaux des humains d'un point de vue éthique : la notion d'être sensible.
Troisièmement, nous verrons une description, une
radiographie de la pensée spéciste. Nous nous demanderons comment, malgré la
diffusion de la notion d'être sensible dans la société, la pensée spéciste
puisse rester forte malgré tout, comment elle peut continuer de justifier de négliger les
intérêts des animaux.
Nous regarderons de plus près la principale façon de voir
les animaux actuellement, qui consiste à réduire l'animal à une simple machine
à produire des marchandises.
Dans la cinquième partie nous aborderons la question de
savoir si tuer un animal doit ou pas être considéré comme un meurtre.
Enfin une conclusion où j'évoque la notion de nouvel Humanisme.
Dernière mise à jour : le 23/11/2003.
Suite de cette présentation : Partie 1 - L'espèce : discrimination juste ou injuste ?