Plan de la partie 1 :
Retour vers le plan général
6 / 26 - Analogie avec le racisme
La différence entre une discrimination juste et une
discrimination injuste, c'est la différence entre une discrimination qui est
arbitraire et une qui n'est pas arbitraire.
Dans une vision raciste, on considère que la race d’un
individu est, à priori, un critère pertinent pour déterminer l’importance
à accorder à ses besoins, à ses intérêts. Concrètement, cela signifie
qu'on pense par exemple que "les intérêts d’un Blanc comptent plus que
ceux d’un Noir".
Dans une vision non-raciste, ce n'est plus ni "un
Blanc compte plus qu’un Noir ", ni "un Noir compte plus qu’un
Blanc", mais : "le fait que tu sois Noir ou Blanc n’a, à priori,
pas d’importance pour comparer nos intérêts". S'il faut vraiment savoir
lequel on doit servir en priorité, il est plus pertinent de se demander qui est
le plus souffrant par exemple, que de
regarder la couleur de la peau.
Dans cette vision non-raciste, les intérêts des uns comptent a priori autant que ceux des autres. C'est exactement ce que veut dire l'article premier de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 : "Les hommes naissent et demeurent [libres et] égaux en droits".
7 / 26 - Egalité en droit ... ne veut pas dire que tous les individus sont identiques
Ce que dit la philosophie des Droits de l’Homme, ce
n’est pas que tous les humains sont identiques, donc qu’il faut les traiter
de la même manière.
Non c’est même l’inverse. La philosophie des Droits de
l’Homme dit que les individus sont tous différents, mais que cela ne doit pas
justifier de les traiter de manière inégale.
Le mouvement des Droits de l’Homme a émergé, non pas
parce que tous les hommes sont identiques, mais justement parce qu’ils sont
différents les uns des autres et que, dans le passé et encore aujourd’hui,
ces différences servaient de justification pour mépriser arbitrairement les
intérêts de certains au bénéfice d’autres, plus puissants.
On le voit bien dans la Déclaration universelle des Droits
de l'Homme des Nations Unies de 1948. Cette déclaration énumère une liste de
différences bien réelles qui existent entre les hommes, et affirme que ces différences
ne justifient pas les discriminations, les exploitations, les oppressions,
qu'elles ont servi à justifier. Son article deux dit ainsi : « Chacun peut se
prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente
Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe,
de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
Dire, comme la philosophie des Droits de l'Homme, que tous les hommes sont égaux en droit, ce n'est pas dire qu'ils sont égaux dans les faits, qu'ils sont identiques. C'est justement parce qu'ils sont différents, qu'on a besoin de rappeler qu'il faut malgré tout les traiter de manière égale, sans en privilégier certains sur des critères arbitraires.
8 / 26 - Les critères de discriminations entre humains : justifiés ou arbitraires ?
Reprenons sur la colonne de gauche de ce tableau certains
des critères qui ont servi, qui servent encore, à effectuer des différences
de traitement entre les individus. Cela va nous aider à montrer en quoi un critère
peut-être arbitraire ou non.
Le raciste pense que la race est a priori un critère
pertinent pour savoir quelle importance accorder aux intérêts d'un
individu, quels droits doivent lui être accordés.
Un non-raciste pense au contraire que la race n'est pas, a priori, un critère pertinent de discrimination. Mais cela ne veut pas dire que la race n'a jamais d'importance. Il y a des cas où une discrimination sur la race peut être justifiée. Par exemple si on fait un casting pour un film sur Martin Luther King, alors le race a de l’importance dans la sélection de l’acteur. Parce que le fait d’être Noir a un rapport avec la situation considérée.
Mais si par contre une loi interdit que profession
de commerçant aux Noirs, alors c’est une discrimination
injustifiée, donc injuste, car on ne voit pas le rapport entre la couleur de la
peau et le fait de pouvoir ou pas être commerçant. Dire "arbitraire" dans ce cas,
c'est comme dire "injuste", "injustifié". Si ce n'est pas
justifié, c'est arbitraire, c'est le résultat d'un
"a-priori" sans justification, c'est donc injuste.
Prenons un autre exemple pour comprendre la différence
entre un critère arbitraire, injuste, et un critère justifié. Regardons la
discrimination sur l’age d’un individu.
Par contre, que la loi ne permette pas à un enfant de 5 ans de voter, ce n'est pas arbitraire parce qu'en fait, cela sous-entend un autre critère qui a un rapport avec le fait de voter : en l'occurrence qu'il n'a pas certaines capacités qui lui permettrait d'exprimer son avis sur des choix de société -en tout cas sous la forme sous laquelle le vote est organisé aujourd'hui.
9 / 26 - Le critère de l'espèce : justifié ou arbitraire ?
La question qui est donc posée maintenant est de savoir
dans quels cas la discrimination sur l'espèce est une discrimination
arbitraire, et dans quelle cas elle est justifiée.
On pourrait penser que le critère de l'espèce est
effectivement en apparence un critère de discrimination assez arbitraire, donc
injustifié en apparence, mais qu'en réalité il sous-entend un autre critère
qui lui est pertinent, justifié. Pour les enfants par exemple, nous avons dit
qu'on peut considérer que dire « on ne doit pas donner le droit de vote aux
enfants » ce n'est en fait pas une discrimination arbitraire sur l'age, parce
qu'est sous-entendu dans cette phrase un autre critère qui est pertinent : «
On ne doit pas donner le droit de vote aux enfants … parce qu’ils n’ont
pas la capacité intellectuelle nécessaire pour voter »
Pour justifier le spécisme, la discrimination envers les
individus qui ne sont pas de la même espèce que nous, il nous faudrait donc
trouver quelque chose que les hommes ont en commun et que les animaux n'ont pas,
et qui justifie qu'il puisse être légitime de ne pas tenir compte, ou de moins
tenir compte, des besoins et des intérêts des animaux. Cette recherche du
propre de l'Homme, on la retrouve au travers de toute l'histoire de la
philosophie, des sciences, des religions.
La liste des critères qui ont été proposés pour définir
ce qui fait la spécificité des hommes par rapport aux autres animaux est très
longue (je dis "autres animaux" car
rappelons que tout en étant des hommes, nous sommes aussi des animaux, des
animaux humains). Parmi les critère proposés : "les hommes sont les élus de Dieu", "les seuls à avoir
une âme", "les hommes sont les seuls à avoir un langage",
"une culture", "les seuls à avoir conscience d'eux-mêmes",
"les seuls à ressentir des émotions", "les seuls à
raisonner", "les seuls à utiliser des outils", etc.
Le problème avec ces critères sont nombreux :
Quand on explore tous les critères qui ont été proposés
dans l'histoire pour distinguer les hommes des animaux, et notamment ainsi
justifier l'utilisation des animaux pour notre convenance, on a un peu
l'impression que cette recherche du propre de l'homme tourne autour du pot, et
que, dit plus simplement, le résultat de cette recherche se résume à une
tautologie : "ce qui différencie les hommes des animaux c'est que les
hommes sont des hommes alors que les autres animaux n'en sont pas". Ou
autrement dit "La raison pour laquelle on peut utiliser les animaux pour
nos propres intérêts aux détriments des leurs, c'est que nous sommes des
hommes et eux ce ne sont que des animaux".
Ce qui est une justification qui ne justifie pas grand
chose …
Ainsi, dire « ce n’est pas grave s’il n’a rien à boire pendant 2 jours, ce n’est qu’un animal » sans expliquer pourquoi le fait d’être un animal rend le fait de crever de soif moins pénible, c’est comme dire « c’est normal qu’elle n’ait pas le droit de voter, ce n’est qu’une femme » sans justifier le rapport entre le fait d’être femme et le fait que son opinion compte ou pas dans la société.
On pourrait dire "l'espèce est peut-être un critère
arbitraire, d'accord, je veux bien le croire, mais c'est quand même un critère
qui diminue le problème, qui diminue la souffrance pour l'animal, parce qu'il
est pas humain, donc il ressent moins les choses". Cette idée est extrêmement
répandue, et je l'ai moi-même
pensé assez longtemps. C'est-à-dire l'idée que dans beaucoup de cas, l'animal
ressent moins les choses, qu'il a des émotions moins fortes, parce qu'il est
moins développé intellectuellement, qu'il a un langage, une culture animale
moins sophistiquée, etc.
En fait je ne pense plus du tout que cela soit vrai dans le
cas général. Il suffit de prendre
quelques exemples et de faire quelques analogies avec un enfant humain. Sur
beaucoup d'aspects on peut dire qu'un enfant ressemble à un animal dans le sens
où il est moins conscient de lui-même, il est moins capable de s'exprimer dans
un langage sophistiqué, de
raisonner, etc. Si on a un enfant ou un chien, dans cet exemple là cela ne va
pas être très différent, et que c'est une des premières fois qu'il nous voit
quitter la maison, l'enfant ou le chien va possiblement hurler, paniquer. On dit en général, "il fait des caprices" : on dit qu'il
fait des caprices parce qu'on a pas envie d'entendre ce qu'il dit, on n'a pas
envie de voir qu'il est visiblement émotionnellement très perturbé à
ce moment là, submergé par ses émotions. Probablement le
fait de ne pas être plus intelligent, plus "raisonnable", plus
conscient de lui-même, à ce moment là, cela ne lui permet peut-être
justement pas de gérer mieux ses émotions. En tout cas c'est une hypothèse
que l'on peut faire, et certainement cela ne lui permet pas de comprendre la
situation -qui est que simplement nous partons faire des courses et que nous
allons revenir dans la demi-heure.
Quelques soient les hypothèses que l'on peut avancer pour
l'expliquer, la simple observation nous montre qu'à ce moment-là il ressent des
choses de manière plus forte qu'un adulte humain.
Un autre exemple : si on est entassé dans un train, par
exemple, qu'on est un enfant humain ou un animal, et qu'on est conduit vers une
destination qu'on connaît pas, qu'il fait très chaud dans le wagon, qu'on est
secoué, qu'on a pas pu boire depuis un moment, on peut aussi être dans un état
de stress physique, mental, bien plus fort que celui du parent qui sait qu'heureusement pour cette famille, le train les conduit à la plage.
Nous avons pris ces exemples pour montrer que le fait d'être un animal n'est pas, à priori, dans le cas général, un fait qui diminue le mal que l'on ressent, le préjudice que l'on subit dans une situation.
Suite de cette présentation : Partie 2 - L'être sensible